Dès mon premier séjour au Japon, j’avais été frappée par le comportement des couples et plus généralement des relations hommes/femmes (en passant par tous les âges) dans la société japonaise. En 2005, j’ai eu la chance d’être plongée dans l’univers des adolescentes japonaises de la banlieue de Tokyo et de découvrir leurs plus intimes pensées et secrets. Depuis mon come back en 2009 dans une région rurale, je cotoie des jeunes adultes, les couples mariés et les « tanguy » ces célibataires désespérés vivant encore chez leurs parents à 40 ans. Sans oublier, les enfants de 4 à 12 ans avec lesquels je joue toutes les semaines.
Je me posais tellement de questions. Pourquoi les couples ont ils l’air si gêné d’être un couple? Pourquoi on dirait qu’ils ne s’aiment pas? Pourquoi ils dorment dans des lits séparés? Pourquoi les jeunes réagissent de façon si excessive dès qu’ils voient un vrai couple (qui se tient la main ou s’embrasse en publique)? Pourquoi ils ne sont pas affectifs? Ces dernières semaines, j’ai enfin réuni les dernières pièces du puzzle afin de répondre à mes questions.
Tout commence lorsque les jeunes mariés, vivant encore sur un petit nuage, apprennent l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille. 9 mois plus tard, l’épouse devient aussi une mère. Dans la plupart des cas, elle arrête de travailler pour se consacrer à son enfant et accumule un autre titre, celui de mère au foyer. Le père lui, continue de travailler et ainsi se déroule la vie de milliers de couples japonais. De ce point de vue là, la situation n’a pas l’air si catastrophique. Puis j’ai eu quelques conversations inattendues avec plusieurs hommes mariés, pères de famille. Voici deux des témoignages d’après des notes que j’ai prises.
Homme 1, 32 ans, 2 enfants (5 et 1 ans), employé de mairie
Moi : Qu’est ce que vous faites le soir en rentrant chez vous?
Homme 1 : »Quand je rentre le soir souvent c’est trop tard, mes enfants ont déjà diné et ils sont au lit. Ma femme elle finit de s’occuper des tâches ménagères et moi je mange ma part de diner posé sur la table. «
Moi : Et ensuite vous discutez un peu avec votre femme ou allez directement vous coucher?
Homme 1: « En général je regarde un peu la télé, puis je prends un bain et me couche. Ma femme dort dans la chambre avec les enfants au 2è, donc non on n’a pas trop le temps de parler. moi je dors dans la chambre près du salon au rez de chaussée.
Moi: ….(oh my god…) Vous ne vous sentez pas seul? Ca ne vous dérange pas cette situation?
Homme 1 : « Ben si oui (air gêné) mais bon ma fille la grande a toujours dormi avec sa mère et si elle n’est pas avec elle, elle ne dort pas.
Moi : Mais donc ça fait combien de temps que ça dure cette situation?
Homme 1 : bientôt 5 ans, depuis que ma fille aînée est née.
Inutile de vous dire la peine que j’ai ressentie pour lui. S’agissant peut être d’un cas isolé, je me suis arrêtée là.
Homme 2, 40 ans, 3 enfants (14, 12 et 7 ans), kinésithérapeute
Moi : (…) J’aime les futons, ça ne me dérange pas de pas dormir dans un lit.
Homme 2 : moi c’est le contraire, mais je ne dors plus que sur des futons. C’est ma femme et les enfants qui dorment dans le lit.
Moi : Ah bon, mais comment ça se fait ?
Homme 2 : Depuis qu’on a des enfants, vous savez au début la mère dort avec eux et puis avec le temps on laisse la situation comme elle est. Mon fils a commencé à dormir seul dans sa chambre tout récemment…
Moi : Mais votre fils est au collège non?
Homme 2 : oui, et maintenant il y a les 2 dernières encore avec ma femme dans le lit.
Moi : Ca fait donc plus de dix ans que ça dure, vous ne dites rien?
Homme 2 : je ne vois pas trop ce que je peux dire ou faire, maintenant c’est trop tard. Mais je sais que c’est pas comme ça chez vous, je le vois dans les films américains. Les enfants dorment dans leurs chambres et les parents dans un grand lit dans une autre pièce.
Moi : Euh oui, oui c’est bien ça. (complètement abasourdie) Vous trouvez ça normal vous cette situation?
Homme 2 : Pas vraiment , mais bon c’est pour tout le monde pareil ici…
Voilà, je crois qu’il a tout dit. Ces cas de couples décomposés sont loin d’être des cas isolés et pas besoin de mener une enquête de grande envergure pour le savoir. C’est le genre de choses communément connues ici, dont personne ne parle mais que dont tout le monde sait (sauf nous occidentaux). A partir de celà, voici les autres mystères qu’on élucide :
Les Heures sup’
Ce n’est plus si étonnant que les hommes japonais soient nombreux à rester tard au travail le soir. Si personne ne les attends pour manger, pour discuter ni pour partager un lit et un moment de réconfort, pas besoin de se presser ! Après tout ils sont pas si mal lotis au boulot.
C’est quoi l’amour?
Plus très surprenant non plus que les enfants et les ados aient les yeux écarquillés quand ils voient un couple heureux passé devant eux. Car pour nombre d’entre eux, ce n’est pas à la maison qu’ils ont vu et ressenti ce qu’est l’affection et l’amour homme/femme…
La frustration
Même le plus introverti et patient des japonais ne pourrait se contenter d’une vie de couple si pitoyable et insatisfaisante. Ce scénario réel de la vie quotidienne de milliers de couple est un générateur de frustration indéniable qui se répercute dans différents domaines et périodes de la vie.
La soumission
Ce qui m’a frappé à travers les conversations que j’ai eues, particulièrement avec les pères, c’est à quel point ils sont résignés et soumis à cette situation. Ils se sont vu imposé celà par leur femme et à aucun moment n’ont essayé de retourner la situation et remettre chacun à sa place, ou plutôt dans son lit. Les mères elles soutiennent le fait qu’il faut se sacrifier pour son enfant, quoi qu’il en coûte, et ce jusqu’à ce qu’ils soient indépendant.
La réflexion continue, à lire prochainement dans le prochain post.
Salut Christelle,
Je trouve cet article très intéressant. Dans tous les blogs d’expats au Japon que j’ai eu l’occasion de lire, tu es la première à évoquer ce sujet en essayant d’y trouver une réponse.
Je t’en félicite !
Maintenant, je ne peux m’empêcher de penser que ton explication n’est valable que pour une partie de la population de couples mariés. A mon avis, il serait intéressant d’étudier plus profondément la question en faisant appel aux mères de famille cette fois-ci. Ainsi, le fait qu’une mère commence à délaisser son mari pour ses enfants n’est peut-être qu’une réaction face à un mari trop peu attentionné, qui ne lui porte pas assez d’intérêt. Peut-être aussi que ces femmes ne sont sexuellement pas satisfaites par leur mari, et préfèrent donc ne pas se retrouver dans le même lit?
Je me demande aussi si le phénomène ne rejoint pas la notion de mariage chez les japonaises. Ainsi, il semble, selon certains expatriés français installés au Japon depuis un moment et mariés à une japonaise, que les japonaises accordent énormément d’importance (parfois trop selon eux) aux revenus de leur mari (ou futur mari) et à la stabilité de sa situation financière. Ainsi, beaucoup d’elle préfèreront que leur mari ne prenne pas de risques en montant son entreprise ou à changer de domaine d’activité. Tout cela pour exprimer l’idée suivante :
Il semble que la japonaise choisisse son mari, non pas par amour, mais par potentiel financier stable. Ainsi, elle s’assurerait de subvenir aux besoins de sa future progéniture : financièrement grâce à un mari absent mais qui rapporte un salaire confortable en fin de mois (dont elle gère d’ailleurs les dépenses), affectueusement grâce à sa disponibilité complète puisqu’elle n’a pas besoin de travailler.
Je suis dans tous les cas d’accord pour dire que tout le monde se « satisfait » de cette situation, car elle est la même pour « tout le monde » comme semble le penser tes connaissances.
Dans tous les cas, merci pour ce blog, bonnes fêtes et continue à nous alimenter de ces recherches et réflexions.
Je te remercie Momix pour ta réaction. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que je n’ai pas été assez vers les femmes pour savoir ce qu’il en est réellement de la situation du couple. Je ne prétends pas écrire la pure vérité, c’est bien sûr une vision subjective qui est la mienne, issue de mes expériences au Japon, mais j’ai discuté avec énormément de gens ici à ce sujet pour savoir qu’il a un malaise, un mal être qui ne peuvent être justifiés par des raisons histoires et/ou culturelles. Alors que j’accepte les différences et garde un esprit ouvert, j’ai du mal à comprendre et accepter cette situation (qui n’est même pas la mienne mais qui m’entoure au quotidien).
C’est bien parce que ta vision est intéressante que j’ai laissé un commentaire. N’hésite pas à continuer à faire partager ton avis et tes idées sur la question. 🙂
Bonjour, malgre les 6 ans qui separent ce commentaire et ma reponse,je me sens obliger de te contre dire grandement, Non ca ne represente pas qu’une petite partie de la population. Ca concerne 90% du peuple japonais, et je sais de quoi je parle,je suis marie a une japonaise,et tout s’est degrade apres la naissance de notre 1er enfant qui va voir en mai 4 ans. L’epouse devient mere,et oublie completement son role de femme. Et que personne n’ose me contredire, j’en suis l’exemple parfait,et tous les etrangers ou ami japonais que j’ai m’ont donnes le meme avis 😉 SVP evitez de parler qd vous ne savez pas merci.
Pour t’aiguiller dans tes recherches (ça y est, je deviens prétentieux), il faut tenir en compte plusieurs facteurs :
– Historiques : depuis toujours les enfants dorment avec leur mère, mais autrefois les pères étaient présents, et surtout, toute la famille dormait dans la même pièce. Selon ce que j’ai cru comprendre, c’est encore le cas dans la plupart des familles, le père n’est pas exclu de la chambre une fois l’enfant né (maintenant dans les villes où on vit dans des 30m2 j’en sais rien).
– Sociaux : la reconstruction du pays après la guerre a eu de bons côtés : reconstruire le pays, mais aussi de mauvais : le culte du travail a été instauré à un point un peu trop extrême (c’est hallucinant de lire des descriptions du Japon d’avant guerre où le peuple japonais est décrit par les Occidentaux comme fainéant), avec la création du salaryman et son incapacité à faire passer autre chose que son entreprise en premier, même pas sa famille, d’où les heures supplémentaires obligatoires, les beuveries avec les collègues après les heures supplémentaires. En ce moment, le Japon cherche des causes et des solutions à la chute de sa natalité, personnellement, je pense qu’il n’y a pas à chercher bien loin : renvoyez les hommes chez eux avant 19 heures et les maris passeront plus de temps avec leurs femmes et donc feront plus d’enfants, des enfants qu’ils verront grandir. Quant aux célibataires ils le resteront moins souvent, quoique :
-Culturels : l’amour, quoiqu’on en dise est lui aussi un construct culturel et l’amour tel que le conçoivent les Français est valide… en France. L’amour à la japonaise est très différent, peut-être plus matérialiste aux yeux des Français (romantiques) et les PDA (public displays of affection) n’ont pas leur place sur la place publique (d’ailleurs, les Français s’étonnent souvent de cela, mais personnellement j’ai l’impression que c’est plutôt la France l’exception, ils sont rares les pays où on se roule des galoches dans la rue), ce qui effectivement surprend, les jeunes Japonais influencés qu’ils sont par l’Occident (oui bon par les US) commencent doucement à s’y mettre (toujours pas de galoches, mais se tenir la main, oui ça on peut faire aux US) ce qui peut choquer et surprendre certains. Dans le cas des réactions des gamins, c’est universel je crois les gamins qui font toute une histoire d’un couple qui ici s’embrasse ou là qui se tient la main…
Bon j’arrête ici, mon commentaire est assez long comme ça. 🙂
Commentaire un peu long certes, mais réfléchi et argumenté … merci, c’est trop rare !
Salut Christelle, et un grand merci à toi de nous faire partager tes réflexions sur ce sujet qui me perturbe depuis un moment …
De mon côté (Tokyo), j’ai pu constaté que les mentalités ont un peu changées depuis mon premier séjour au Japon (en 2005), et je vois de plus en plus de couples (majoritairement moins de 30 ans) se tenir par la main, voire la taille … Mais c’est vrai que cela constitue une minorité.
Tu parle de « frustration » et de « soumission », j’aurai parlé de « sacrifice » : le « modèle de vie » japonais étant basé sur le sacrifice de soi pour le bien de la communauté (ou d’une plus grande cause), faut-il vraiment s’étonner de les voir sacrifier en masse leur bonheur et leur vie de famille ?
Jusqu’a ce que l’enfant arrive….Je suis a Okayama, J’entame ma 7eme annee de vie au Japon,.Si j’ai vu 3 couples en 7 ans se tenir la main en rue c’est bcp 😉
Salut Japonaute!
Tu as raison sur le fait que la société change depuis quelques années, surtout chez les jeunes mais je me demande si ce sera assez pour retourner un peu la situation?!
Quand au sacrifice en tant que « modèle de vie », je crois que tu as mis le doigt sur ce qui me gène tant ! Comment accepter de voir son entourage sacrifier sa vie (oui parce que à part pour le bonheur à quoi bon vivre?) pour son travail? Si encore ils étaient heureux ainsi, mais c’est même pas le cas…
Je respecte leurs moeurs, leurs traditions et la mentalité qui règne dans ce pays mais je n’accepte pas du tout de les voir « ruiner leurs plus belles années ».
« Je crois que tu as mis le doigt sur ce qui me gène tant ! »
Parce que tu n’as pas grandi dans une société de type confucéenne comme le Japon. 🙂
(et qu’en 1945 ton pays n’était pas un vaste champ de ruines ravagé par la famine et au bord de l’implosion et qu’il n’a pas non seulement été sauvé mais est devenu la deuxième économie mondiale grâce au sacrifice, au travail et à l’abnégation de tous les citoyens dans leur ensemble, ce qui laisse des traces dans la vision des choses de tout un chacun)
[…] revoilà lancé sur le thème du couple au Japon ! Dans la première partie, j’ai surtout parler du comportement des hommes au sein du couple japonais en délaissant (un […]